Syrie : plusieurs milliers d'alaouites manifestent, un couvre-feu instauré à Homs
Des milliers de Syriens de la minorité alaouite, dont est issu le président déchu Bachar al-Assad, ont manifesté mercredi dans plusieurs villes du pays après la publication d'une vidéo montrant une attaque contre l'un de leurs sanctuaires. Un manifestant a été tué par balles, selon l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH).

Des milliers de Syriens de la minorité alaouite dont est issu le président déchu Bachar al-Assad ont manifesté mercredi 25 décembre dans plusieurs villes de Syrie après une vidéo montrant une attaque contre l'un de leurs sanctuaires, une ONG faisant état d'un manifestant tué par balles.
Le directeur de l'Observatoire syrien des droits de l'homme, Rami Abdel Rahmane, a déclaré à l'AFP qu'un "manifestant a été tué et cinq autres blessés après que les forces de sécurité à Homs (centre) ont ouvert le feu pour disperser les protestataires".
Il s'agit des premières manifestations d'alaouites depuis le renversement de Bachar al-Assad par une coalition de rebelles menée par le groupe islamiste radical Hayat Tahrir al-Cham (HTC), entrée à Damas le 8 décembre après s'être emparée en 11 jours d'une grande partie du pays.

Selon des témoins et l'OSDH, des milliers de Syriens ont manifesté également à Tartous, Banias, Jableh, et Lattaquié dans l'ouest du pays, où est très implantée la communauté alaouite, une branche de l'islam chiite.

À Homs, la police a décrété selon l'agence officielle Sana un couvre-feu nocturne jusqu'à 08 h 00 (05 h 00 GMT). Les autorités à Jableh ont également annoncé un couvre-feu nocturne.
La colère des alaouites a éclaté après une vidéo circulant sur les réseaux sociaux montrant "une attaque de combattants" contre un sanctuaire dans le quartier de Maysaloon, à Alep (nord), deuxième ville de Syrie, selon l'OSDH. Cinq employés du sanctuaire qui a été incendié ont péri, d'après l'ONG.
"Semer la discorde"

À Damas, le ministère de l'Intérieur a assuré que la vidéo était "ancienne" et datait de la prise d'Alep par les rebelles le 1ᵉʳ décembre.
"Le but de faire circuler à nouveau de telles images est de semer la discorde parmi le peuple syrien (...)", a-t-il ajouté en accusant des "groupes inconnus" de l'attaque. Les nouvelles autorités ont multiplié les gestes d'assurance envers toutes les minorités d'un pays traumatisé par la guerre.
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À Jableh, les manifestants ont scandé "Alaouites, Sunnites, nous voulons la paix", a indiqué un manifestant, Ali Daoud, à l'AFP, appelant à "punir les assaillants".
Des images ont montré une foule défilant dans la rue, brandissant le drapeau des rebelles datant de l'ère de l'indépendance. "Non à l'incendie des lieux saints et à la discrimination religieuse, non au sectarisme, oui à une Syrie libre", pouvait-on lire sur une pancarte.
À Lattaquié, les manifestants ont dénoncé "les violations contre la communauté alaouite", selon Ghidak Mayya, un manifestant de 30 ans. "Pour le moment nous écoutons les appels au calme (...) Mais la situation peut exploser."

Après la fuite à Moscou de Bachar al-Assad dans la foulée de l'offensive rebelle, des membres de la minorité alaouite se sont réjouis de sa chute, mais ont dit craindre la marginalisation, ou pire, des représailles.
Selon le politologue Fabrice Balanche, "les alaouites étaient très proches du régime de Bachar", dont ils constituaient la "garde prétorienne". Il estime à 1,7 million leur nombre aujourd'hui, soit environ 9 % de la population.
Neuf morts lors d'une tentative d'arrestation d'un officier de Bachar al-Assad
L'OSDH a fait état de neuf morts mercredi dans des accrochages entre hommes armés et forces de sécurité qui tentaient d'arrêter un officier du pouvoir déchu. Six membres des services de sécurité ont été tués ainsi que "trois hommes armés", après que les forces de sécurité ont tenté d'arrêter un responsable du pouvoir de l'ex-président Bachar al-Assad, à Tartous (ouest), a indiqué l'OSDH.
L'ONG a indiqué que l'homme recherché, un ex-directeur de la justice militaire, était accusé d'être "un des responsables des crimes à la prison de Saydnaya (près de Damas)", tristement célèbre pour ses conditions inhumaines et son rôle central dans la répression violente exercée par le clan Assad.
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L'ex-officier avait "prononcé des condamnations à mort et des jugements arbitraires à l'encontre de milliers de prisonniers", a ajouté l'OSDH, sans divulguer son nom. Un responsable de HTC a confirmé à l'AFP des affrontements entre forces de sécurité des nouvelles autorités et des partisans de l'ancien pouvoir dans la province de Tartous, bastion de la minorité alaouite d'Assad, sans en préciser les raisons.
Plusieurs membres des forces de sécurité ont été tués, a déclaré le responsable, qui a requis l'anonymat. Les affrontements ont éclaté après que des "habitants avaient refusé que leurs maisons soient fouillées", a indiqué l'OSDH, ajoutant que "des dizaines de personnes" avaient été arrêtées.
Un probable nouveau charnier découvert au nord de Damas

Par ailleurs, un secouriste des Casques blancs et un militant ont indiqué avoir mis au jour un probable charnier renfermant les ossements de détenus emprisonnés par l'ex-pouvoir ou de combattants tués pendant le conflit.
Une équipe de l'AFP a vu sur un terrain vague à une trentaine de kilomètres au nord-est de Damas, des fosses alignées les unes à côté des autres, formant une tranchée de plus d'un mètre de profondeur.
Plusieurs sacs étaient visibles dans une fosse. Dans l'un, une journaliste de l'AFP a vu un crâne humain et des ossements. "Nous pensons que c'est une fosse commune. Nous avons trouvé un caveau ouvert avec sept sacs remplis d'ossements", a précisé à l'AFP le secouriste Abdel Rahmane Mawas.

Le sort de dizaines de milliers de prisonniers et disparus constitue l'un des aspects les plus douloureux du drame syrien, dans un pays exsangue après 13 ans d'une guerre dévastatrice, déclenchée en 2011 par la répression brutale de manifestations prodémocratie, et qui a fait plus de 500 000 morts.

Sur un autre plan, les nouvelles autorités ont mis le feu à Damas à des stocks de cannabis, des boîtes de Tramadol et une cinquantaine de petits sacs contenant un million de pilules de captagon, une amphétamine produite à une échelle industrielle sous Assad, selon deux membres des forces de sécurité.
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Le pouvoir déchu était connu pour produire du captagon, transformant son pays en narco-État et inondant les marchés au Moyen-Orient.