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En images : reportage dans les tranchées où l’armée française forme ses futurs fantassins

Reportage
France

De notre envoyé spécial à Meyenheim – Face au retour de la guerre en Europe, l’armée française renforce sa préparation à un conflit de haute-intensité. Un système de tranchées a ainsi été bâti dans un camp militaire en Alsace afin que les futurs fantassins puissent pratiquer un type de combat que l’on croyait oublié. Reportage. 

De jeunes recrues du Régiment de Marche du Tchad participent à un exercice de combat dans les tranchées installées à cet effet dans leur camp en Alsace, le 17 décembre 2024.
De jeunes recrues du Régiment de Marche du Tchad participent à un exercice de combat dans les tranchées installées à cet effet dans leur camp en Alsace, le 17 décembre 2024. © Mehdi Chebil, France 24

Une dizaine de jeunes soldats français progressent prudemment, en file indienne, dans une tranchée de l’est de la France. Armés de fusils d’assaut et de mitrailleuses légères, ils explorent les boyaux en prenant garde de ne pas être trop près les uns des autres. Une précaution de base pour éviter que le groupe entier ne soit décimé par une grenade ennemie.

"Bunker à gauche ! Minimi en appui !" hurle soudainement le chef de groupe. Un militaire équipé de la Minimi en question – une mitrailleuse légère à haute cadence – stoppe aussitôt sa progression et se positionne, canon pointé vers l’objectif. Un autre soldat décroche alors de son gilet tactique une grenade, prêt à lancer son projectile dès qu’il en reçoit l’instruction.

Un soldat se prépare à envoyer une grenade vers un angle mort de la tranchée, tandis que ses coéquipiers sont en position d’appui feu.
Un soldat se prépare à envoyer une grenade vers un angle mort de la tranchée, tandis que ses coéquipiers sont en position d’appui feu. © Mehdi Chebil, France 24

Les couleurs de la grenade – bleu clair – et celle des chargeurs – jaune vif – rappellent qu’il ne s’agit que d’un exercice. Mais la concentration des jeunes soldats est visible dans la sueur qui coule sur les peintures de camouflage qu’ils se sont appliquées sur le visage avant l’entrainement. Au-dessus de la tranchée, le lieutenant Melchior* supervise la progression du groupe.

Le Donbass en Alsace

Levier de sureté encore engagé, jet de grenade hasardeux, communication insuffisante dans le groupe… Rien n’échappe au regard d’aigle de ce chef de section de 28 ans. Il s’agit de gestes de base car le groupe s’entrainant dans les tranchées est composé de jeunes recrues, qui ont commencé leurs formations de fantassins il y a quelques mois seulement.

"La grenade c’est fondamental, avec le bruit et la fumée ça va obliger l’adversaire à baisser la tête et ça sera le moment d’avancer pour le neutraliser", explique le sous-officier à France 24. "Aujourd’hui on travaille sur les déplacements et ce type d’actes réflexes. Ce n’est pas encore un automatisme pour ce groupe et c’est pour ça qu’il faut les faire encore et encore… On dit qu’il faut répéter un geste 1 000 fois pour qu’il devienne inné".

Gros plans sur les munitions à blanc et les grenades d’entrainement utilisées lors d’un exercice dans les tranchées du camp du Régiment de Marche du Tchad le 17 décembre 2024.
Gros plans sur les munitions à blanc et les grenades d’entrainement utilisées lors d’un exercice dans les tranchées du camp du Régiment de Marche du Tchad le 17 décembre 2024. © Mehdi Chebil, France 24

Des centaines de jeunes recrues, âgées de 18 à 22 ans, se sont déjà exercées dans cette tranchée, construite à l’automne 2023 dans la base du Régiment de Marche du Tchad (RMT) en Alsace (ce nom provient du fait que l'unité a été créée en 1943 à partir du Régiment de Tirailleurs Sénégalais du Tchad, NDLR). Le fait que l’armée de terre a intégré cet entrainement au combat en tranchées reflète sa volonté de mieux se préparer pour un conflit de haute-intensité, comme celui qui ravage actuellement l'Ukraine.

En ce mardi 17 décembre, la campagne alsacienne aux alentours du camp du RMT a un air désolé de Donbass, la province orientale de l’Ukraine en proie aux plus violents combats depuis l’invasion russe. En beaucoup plus calme, l’exercice ne comprenant aucune simulation de frappes d’artillerie, de tirs de snipers ou de drones volant au-dessus des tranchées... Des méthodes devenues routinières sur le front ukrainien.

Le lieutenant Melchior, à droite, supervise l’exercice de simulation d’attaque d’une tranchée menée par de jeunes recrues du Régiment de Marche du Tchad le 17 décembre 2024.
Le lieutenant Melchior, à droite, supervise l’exercice de simulation d’attaque d’une tranchée menée par de jeunes recrues du Régiment de Marche du Tchad le 17 décembre 2024. © Mehdi Chebil, France 24

Le lieutenant Melchior affirme qu’il n’y a pas eu de révolution dans l’entrainement des fantassins, mais l’ajout de nouveaux paramètres inspirés notamment par la guerre en Ukraine.

"L’infanterie est l’arme des 300 derniers mètres et on a l’habitude de s’entrainer pour des combats urbains et pour des combats en forêt. La prise de tranchées peut s’apparenter à un mélange des deux car on s’approche des tranchées en terrain ouvert, et on progresse dans les boyaux en vérifiant tous les angles morts comme dans le combat urbain", explique le sous-officier.

Une difficulté spécifique de la tranchée est néanmoins de devoir progresser dans un boyau à demi enterré, sans pouvoir bien voir ce qui se passe au-dessus.

"Le fantassin doit être particulièrement vigilant, il doit garder les yeux tout autour de lui et bien repérer où sont ses coéquipiers et ses ennemis. Un soldat peut rapidement perdre ses repères dans un réseau de tranchées", souligne le lieutenant Melchior.

Les recrues qui jouent les assaillants se retrouvent parfois nez à nez avec des soldats embusqués dans les recoins de la tranchée afin de les obliger à garder une vigilance de tout instant.
Les recrues qui jouent les assaillants se retrouvent parfois nez à nez avec des soldats embusqués dans les recoins de la tranchée afin de les obliger à garder une vigilance de tout instant. © Mehdi Chebil, France 24

"On essaye de se préparer aux conflits d’aujourd’hui et de demain"

Les conditions dans lesquelles ces fantassins seront amenés à se déplacer sur le champ de bataille ont également beaucoup changé ces dernières années. Tandis que l’armée de terre s’était habituée à des campagnes de contre-insurrection sous couvert d’appui aérien, elle doit désormais se préparer à combattre un ennemi qui aurait des capacités militaires similaires aux siennes.

"Le fait de combattre un ennemi qui a les mêmes capacités signifie qu’il pourra nous observer en permanence avec ses drones, il pourra frapper nos bases arrières, identifier et détruire nos postes de commandement si on n’est pas assez mobiles", affirme le lieutenant-colonel Paul, chef du bureau opérations instruction du RMT.

"On regarde ce qui se passe en Europe de l’Est et on essaye de se préparer aux conflits d’aujourd’hui et de demain, et de ne surtout pas avoir de train de retard. On voit qu’en Ukraine le ciel est rempli de drones, ça serait une illusion pour un fantassin dans ces conditions de se croire à l’abri", ajoute l’officier. 

Les recrues pratiquent également le débarquement du véhicule de transport blindé qui les amène quasiment jusqu’à la tranchée.
Les recrues pratiquent également le débarquement du véhicule de transport blindé qui les amène quasiment jusqu’à la tranchée. © Mehdi Chebil, France 24

Le camouflage et la mobilité permanente sont ainsi au cœur de la préparation de l’armée de terre à cette "transparence du champ de bataille". Au RMT, des opérateurs de drones sont également formés pour être intégrés à l’unité la plus basique de l’armée française, le groupe de combat (qui compte huit à 15 individus). Dans le cas d’une attaque de tranchées, des mini drones pourraient ainsi être utilisés pour détecter les ennemis embusqués.

Prendre en compte l'évolution des conflits

Même si l’entrainement des fantassins évolue pour prendre en compte ces nouvelles réalités, leur survie sur un champ de bataille de haute-intensité dépendra largement des autres composantes de l’armée française, à commencer par l’artillerie et un éventuel appui aérien. La plupart des experts en affaires militaires estiment que la France n’a pas les moyens matériels de tenir un conflit de haute-intensité sur la durée sur des aspects aussi fondamentaux que le nombre d’obus d’artillerie ou d’engins lanceurs de roquette. Le résultat d’un choix des autorités pour une armée en pointe technologiquement sur plusieurs plans (avions de combat, blindés, porte-avions, dissuasion nucléaire, etc.) au détriment de la masse d’équipements disponibles et de stocks conséquents de munitions.

"Il y a effectivement eu un changement de mentalité des autorités françaises sur le sujet, mais on vient de très, très loin (...) On a un effet d'inertie des 30 dernières années où l'on était en position de supériorité militaire souvent écrasante", décrypte Elie Tenenbaum, directeur du Centres des études de sécurité de l’IFRI.

"La volonté de revoir les ambitions technologiques pour regagner un peu de masse se heurte à un certain nombre d'acteurs, dont la Direction Générale de l'Armement et les industriels qui veulent continuer à privilégier la qualité et la performance technologique maximale", ajoute le chercheur. Et si la Loi de Programmation Militaire actuelle "redonne un peu d’épaisseur sur les munitions et l’entrainement, elle ne change pas radicalement les orientations françaises des 30 dernières années", selon lui.

Des contraintes matérielles qui imposeraient alors à la France de trouver la "masse manquante" chez ses alliés ou de se réfugier sous son parapluie nucléaire… qui reste la plus sûre des tranchées qui soit pour le territoire national.

* L’armée française ne permet de publier que les prénoms des soldats qui s’adressent à la presse.

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