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Assassinats à Moscou : la démonstration de force des agents ukrainiens

Analyse
Europe

Le meurtre d’Igor Kirillov, revendiqué par les services de sécurité ukrainiens, prive la Russie d’un général aussi controversé que médiatique. Mais il s’agit surtout du deuxième assassinat dans la capitale russe revendiquée par l’Ukraine, en moins d'une semaine. Un signal fort envoyé à Vladimir Poutine.

La façade d'un immeuble endommagée par l'explosion d'une bombe qui a tué un général de l'armée russe et son assistant.
L'explosion qui a tué le général Igor Kirillov et son assistant, à Mosocu, a été déclenchée par un dispositif sur une trottinette électrique. © AFP - Alexander Nemenov

Il est le plus haut responsable militaire russe à avoir été tué en territoire russe depuis le début de la grande offensive en Ukraine le 24 février 2024. Le général Igor Kirillov, commandant des troupes de défense radiologique, chimique et biologique des forces armées, est mort à la suite d’une explosion devant son domicile à Moscou mardi 17 décembre au petit matin.

La bombe semble avoir été placée dans une trottinette électrique garée sur le trottoir. Elle a été déclenchée à distance lorsqu’une voiture de fonction est venue chercher le haut gradé vers 6 heures du matin, détaille le site russe indépendant Meduza. L’assistant d’Igor Kirillov, Ilya Polikarpov, a également été tué par l’explosion, a précisé l’agence de presse russe Tass.

Armes chimiques et délires complotistes

Peu après, les autorités ukrainiennes ont revendiqué l’assassinat, précisant qu’il s’agissait d’une opération spéciale des espions du SBU, le Service de sécurité de l'Ukraine.

La veille de cette attaque, le bureau du procureur à Kiev avait dressé un acte d’accusation contre Igor Kirillov pour crime de guerre. Une enquête du SBU venait de conclure à la responsabilité du commandant russe dans l’utilisation d’armes chimiques en Ukraine.

Igor Kirillov et ses troupes avaient déjà été sanctionnés par les autorités britanniques en octobre 2024 pour "l’utilisation flagrante et répétée" d’armes chimiques interdites sur le champ de bataille. Sans nommer directement le commandant russe, les États-Unis ont accusé, à plusieurs reprises, la Russie d’avoir recours à la chloropicrine, un gaz très irritant et vestige de la Première Guerre mondiale qui peut être mortel à haute dose.

Le commandant russe n’est pas connu seulement pour avoir très probablement autorisé le recours à des armes chimiques illégales contre les troupes ukrainiennes. Le gouvernement britannique le décrit aussi comme un chaînon essentiel de la grande machine russe de désinformation.

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Depuis le début de la guerre en Ukraine, Igor Kirillov a été l’un des plus fervents propagateurs d’une théorie complotiste selon laquelle les États-Unis ont élaboré des armes biologiques dans des laboratoires secrets en Ukraine. "C’est quand même lui qui a accusé les États-Unis d’avoir créé le Covid-19 pour nuire à la Russie !", souligne Stephen Hall, spécialiste de la Russie à l’université de Bath (Royaume-Uni).

En juin 2022, il avait accusé les États-Unis de se préparer à fournir des drones capables de larguer des moustiques porteurs de divers virus - dengue, zika, etc. - sur des zones où se trouvaient les troupes russes. Un an plus tard, en août 2023, il avait affirmé que Washington avait établi un département spécifique pour élaborer des virus capables de déclencher des pandémies.

Moscou frappé deux fois

Outre ses envolés conspirationnistes, Igor Kirillov a aussi accusé à maintes reprises l’Ukraine de développer des "bombes sales", c’est-à-dire des engins dotés d’explosifs conventionnels mais entourés de matériel radioactif.

C’est donc un personnage "relativement influent dans les sphères militaires" que l’Ukraine a réussi à éliminer, estime Stephen Hall. "C’est un peu une manière pour l’Ukraine de signaler à la Russie, connue pour ses opérations d’assassinat à l’étranger, qu’elle sait faire pareil", souligne Jenny Mathers, spécialiste des questions de sécurité et du renseignement en Russie.

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Et pas seulement une fois. En une semaine, les agents ukrainiens ont revendiqué deux victimes. Outre Igor Kirillov, ils assurent être derrière la mort de Mikhail Chatski, un ingénieur qui travaillait au développement de missiles et de drones utilisés en Ukraine, tué par balle mercredi 12 décembre. Mais cette-fois là, l’opération aurait été menée par des agents du renseignement militaire et non pas du SBU, un service qui dépend directement de la présidence ukrainienne.

Deux services de renseignement différents, deux morts : le tout dans la capitale russe… Selon Stephen Hall, l’intention de l’Ukraine est claire : "Dire à Vladimir Poutine que les agents ukrainiens peuvent frapper jusqu'au cœur du pouvoir russe", note Stephen Hall.

Et qu’ils peuvent agir au nez et à la barbe des redoutés espions russes ? Les deux opérations semblent, en effet, avoir été parfaitement orchestrées, signe que les assassins ont pris le temps de la préparation. Ces succès "montrent que les services russes de sécurité ne sont pas aussi puissants qu’on pouvait le croire, tout comme la défense militaire ukrainienne a mis à nu les failles d’une armée russe qu’on pensait bien plus puissante avant le début de la guerre", analyse Jenny Mathers.

"Trump n'aime pas les faibles"

Là encore, derrière l’élimination de deux pièces relativement importantes de l’échiquier russe, c’est un signal envoyé au Kremlin. "Vladimir Poutine s’est toujours reposé sur ses services de sécurité. Ces deux assassinats lui prouvent qu’ils sont loin d’être infaillibles. Et si le président ne peut plus compter sur eux, que lui reste-t-il ?", s’interroge Stephen Hall.

Pourtant, ces deux éliminations ne vont pas changer la face de la guerre. L’armée russe continuera d'avoir l’initiative sur le front, et "le Kremlin trouvera des remplaçants", précise Jenny Mathers.

Pour autant, la réussite de telles opérations intervient à un moment opportun pour Kiev. "L’Ukraine a besoin d’accentuer la pression sur la Russie avant que Donald Trump ne devienne officiellement président", assure Ryhor Nizhnikau, spécialiste de l’Ukraine à l'Institut finlandais des affaires internationales. Pour cet expert, les objectifs qui peuvent être atteints doivent l'être avant le 20 janvier, date d'inauguration du futur président. Après, Donald Trump fera tout pour que rien "ne puisse nuire aux négociations de paix qu’il veut imposer", résume Ryhor Nizhnikau.

En frappant ainsi au cœur de la Russie, les Ukrainiens "écornent aussi l’image de force que Vladimir Poutine veut projeter", note Jenny Mathers. Autrement dit, en démontrant que la Russie peine à veiller sur les siens à Moscou, les agents ukrainiens "affaiblissent le principal argument de vente dont dispose le Kremlin : assurer que la Russie est un pays fort capable de protéger ses alliés", ajoute cette spécialiste. Un aveu de faiblesse qui, selon Stephen Hall, pourrait bien être préjudiciable : "N’oublions pas que Donald Trump répète qu’il déteste les ‘losers’ et les faibles".

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